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Une douloureuse affaire de noël

chat

Une brume blanche et  épaisse enveloppe la ville depuis quelques jours rendant l’air sec et difficile à respirer. Partout, des concerts de toux rauques se font entendre: l’harmattan s’est couché sur Abidjan en cette fin de mois de décembre. C’est le temps des bilans. Moi, mon bilan est simple : je ne travaille pas encore, ma petite femme est pratiquement à terme et je ne sais pas où donner de la tête. J’attends impatiemment de monter dans le train des 1 million d’emplois promis par le Président de la République. Soit le train a pris du retard, soit je suis du mauvais côté de la gare. Il y a 4 jours, ma femme a écouté sur RFI le bilan du gouvernement en matière d’emplois. Il paraîtrait que  l’Etat ait créé 1 043.000 emplois en trois ans. Je n’en crois pas mes oreilles. Où avais-je le dos tourné pendant que tous ces milliers et milliers d’emplois me passaient sous le nez ?

Ma petite femme ne comprend pas qu’avec tous ces emplois créés, j’en sois encore à effectuer de petits boulots dégradants très peu rémunérés.  Elle pense même que si je ne travaille pas encore, c’est de ma faute.  Elle s’est alors mise à me reprocher des tas de trucs inutiles et a ramené sur la table l’éternelle question de chat que je croyais avoir résolu par mon subterfuge. La statue ne lui suffisait plus, elle voulait un chat comme cadeau de noël. J’aurais bien voulu lui acheter une belle chaussure pour détourner ses idées, mais quand réussir à manger une fois par jour devient un combat acharné, comment pourrai-je m’offrir le luxe de payer quoi que se soit ? J’ai échafaudé un plan, celui de kidnapper un chat dans la rue et de le ramener à la maison. Je grinçais les dents rien que d’y penser mais il le fallait pour calmer l’ardeur insufflée à ma femme par l’écoute de RFI.  J’avais beau lui expliqué que les chiffres annoncés par RFI n’étaient finalement que ceux énoncés par le gouvernement ivoirien lui-même, elle ne voulait rien comprendre, si RFI l’a dit, c’est que c’est vrai, telle était sa conclusion. Il me fallait donc vite agir.

J’avais remarqué, il y a quelques jours un petit chat gris non loin de chez moi. Je me suis résolu d’aller le chaparder pour le bonheur de ma petite femme et pour ma paix avec elle. Arrivé sur les lieux, le petit animal, comme à son habitude, se reposait sous un arbre. Je m’en suis approché à pas feutrés et j’ai bondi sur lui avec le réflexe d’un grand chasseur. La réaction de l’animal ne s’est pas fait attendre. Le petit chat a craché toute sa haine et sa rage à mon égard en me lacérant la peau à coups de griffes bien placés. Je l’ai aussitôt relâché d’un geste  rapide et j’ai pris mes jambes à mon cou, le laissant sur place le dos recourbé, les poils hérissés, sifflant de colère et de mépris. Je crois que cet épisode douloureux n’a fait que renforcer la haine viscérale que je voue à cette sale petite bête ignoble et malfaisante. Arrivé chez moi, je me suis mis à nettoyer mes blessures avec dans le cœur, un fort sentiment de regret de n’avoir pas assommé ce petit monstre.

 

Je crois bien que ma fête de Noël est encore fichue pour cette année. Je n’ai pas pu avoir un emploi, un vrai, je n’ai pas acheté de cadeau pour ma petite femme, je me suis pris la correctionnelle en essayant de capturer ce maudit chat, le gouvernement annonce des chiffres à faire tourner la tête au sans emploi que je suis.  Pour cette  nouvelle année 2014, J’espère être parmi ceux qui profiteront des milliers d’emplois qui se créent en secret.

 

 


La diarrhée

credit photo: www.la-recette-de-cuisine.com
credit photo: www.la-recette-de-cuisine.com

Je n’en reviens pas, mais je tiens dans ma main un billet violet, un billet de 10 000 F Cfa (16 euros). Cela n’arrive pas souvent. Je rentre chez moi l’air triomphateur. A ma démarche, ma petite femme a compris que je viens avec de bonnes nouvelles. Je lui demande de s’apprêter, car nous sortons. Nous allons au glacier. Une fois n’est pas coutume. Elle est souriante. Bernadette, la femme du voisin Bernard a entendu. Elle veut nous accompagner, mais son mari s’y oppose catégoriquement. Ma petite femme réussit tout de même à lui faire changer d’avis. Dans notre bouge, tout se partage : peines et joie, douleurs et bonheur. Je demande aussi à Bernard de venir. Il est désolé, il aimerait bien, mais il me montre du doigt ses quatre marmots. J’ai de la bonne volonté, mais ça fait un peu trop. Je n’insiste pas.

Notre soirée est féérique. Après les glaces nous prenons de bons et gras morceaux de porc au four et nous ingurgitons quelques litres de bière bien fraîche. Le tout est un cocktail détonnant et je ne tarderai pas d’ailleurs à m’en rendre compte. Nous avons dépensé la rondelette somme de 7 000 F Cfa pour cette seule soirée. C’est énorme pour ma bourse rabougrie, mais nous sommes heureux. Ma petite femme se passe la main sur le ventre et caresse le petit bonhomme qui saute aussi de bonheur. La vie est bien courte et il faut savoir en profiter.

Je me réveille le lendemain plein d’entrain, mais le ventre bourdonnant. Je dois me rendre à Treichville voir mon frère. Dans le bus qui peine à monter la côte de l’Indénié, râlant et crachant de la fumée noire, je sens des bouffées de chaleur m’envahir. Mon ventre se met à tourbillonner comme un orage qui va éclater. Sans nul doute, la bière et les bons morceaux de porc font leur effet. A la sortie du Plateau, l’orage éclate effectivement dans mon ventre et dévale la pente à toute vitesse: c’est la première attaque. Je me cramponne à la barre de fer et usant de mes muscles fessiers, je tente de repousser l’assaut. Je deviens pâle, transpirant à grosses gouttes. L’offensive est repoussée après une féroce lutte de mes fesses et de mes pauvres sphincters. Un bref soulagement, et la seconde attaque arrive, violente, très violente. Le bus est coincé dans un embouteillage à la sortie du pont de Gaulle. La sueur me dégouline du visage. Ma respiration devient courte. Tout devient flou autour de moi. Mes membres tremblotent. Je mets à rude épreuve mes sphincters qui n’en peuvent plus. Je n’entends plus rien, ne vois plus rien. Au terme d’un ultime effort, je réussis à repousser la tornade dans mon ventre. Ouf ! Mais je crois que je ne survivrai pas à une troisième attaque.

Le bus se dégage et bondit comme un ivre vers le premier arrêt près de l’immeuble Nanan Yamousso. Je lutte, je pousse, je bouscule. On m’insulte, on essaie de me retenir le bras. Je deviens violent, incontrôlable. Usant du peu de force qui me reste, je mets le pied dehors. Un petit vent glacial me fouette le visage et me redonne de l’espoir dans cette lutte à mort. Je cherche un WC public, le plus proche. Je me renseigne presque, en chuchotant mes mots. Une main indécise me montre une direction. La troisième attaque commence, fulgurante. Je marche à petits pas rapides les fesses serrées. J’aperçois des toilettes publiques et je m’y dirige telle une roquette tirée contre un char d’assaut. J’y suis presque. Je touche la porte. Mes  mains tremblent violemment. A cet instant, mes sphincters lâchent prise. C’est le syndrome de la clé dans la porte. J’ai juste le temps de descendre la fermeture éclair de mon pantalon que….

La suite n’intéressera personne. Qui d’entre nous n’a jamais été victime d’une telle diarrhée ? Quels conseils n’ai-je pas reçus sur le danger que représente la consommation abusive de la viande de porc ? Ici, c’est la viande des pauvres. Avec ma condition, je ne peux que m’offrir ce luxe-là. Chez nous, le luxe c’est ça. Un luxe empoisonné accompagné de bière fraîche comme nos malheurs d’ici.


Appelons un chat, un chat

source: fr.123rf.com
source: fr.123rf.com

A dire vrai, je n’aime pas les chats. Je les déteste. Je hais leurs manies à vouloir coûte que coûte se frotter aux gens et surtout leur miaulement rauque. Ma petite femme elle, elle les adore.

Elle m’a sérieusement boudé lorsque j’ai refusé de lui en offrir un. Le compromis que nous avons trouvé m’arrangeait à peu près. A défaut d’avoir ce petit animal domestique encombrant, elle s’était acheté une petite statue lui ressemblant. Bon, j’ai beau regardercette œuvre d’art majeur, je ne lui trouve aucune ressemblance avec un chat.  C’est plutôt un genre de machin-truc sculpté certainement avec hâte dont les contours mal définis lui donnent un aspect difforme. Il ne me plaît pas non plus, mais du moment où il peut me protéger de l’encombrement d’un vrai chat, tant mieux. Ce n’est pas  que je sois prévenu contre l’art en général et la sculpture en particulier, mais vous auriez vu ce machin-truc que vous m’auriez sans doute donné raison. Chacun à son opinion sur les chats. Certains les aiment pour leur compagnie tandis que ceux d’en face les adorent dans la sauce. On dit que cuit avec du vin, le chat est un met délicat de choix. Moi quelle que soit sa forme, je le déteste.

Un dicton bien connu dit qu’il faudrait appeler un chat un chat. C’est dire qu’il faut éviter de tourner autour du pot et dire ce qui est comme il l’est. Et ma femme a cette qualité à appeler un chat un chat surtout lorsqu’il s’agit d’un chat. Mais j’en connais qui appelle un chat : petit animal domestique de la famille des félidés qui miaule. Ouf ! J’y suis parvenu. Et ceux-là, c’est les politiciens. Ils ont l’art d’esquiver les vrais problèmes. L’un d’entre eux est allé jusqu’à dire « qu’en politique, on ne résout pas les problèmes, on les déplace ». En d’autres termes, quand ta femme veut un chat, tu lui achètes une statue qui n’est ni chat ni vraiment statue, un type de ce machin-truc qui traîne  et qui occupe entièrement l’esprit. Et voilà le tour est joué! Ma petite femme jure qu’il ressemble à un chat, moi je trouve que c’est plutôt un je-ne-sais-quoi. Et là, fini la question de posséder à tout prix un chat. On passe le reste du temps à discuter sur la fameuse et vulgaire sculpture. Sur sa nature, sur le maître d’œuvre qui l’a réalisée, sur ses motivations. Puis sur sa place dans la maison, sur son entretien et blablabla.

Les politiciens ont la manie, comme les chats, de nous caresser dans le sens du poil,  nous monter qu’il nous aime, qu’ils se préoccupent de nos maux et surtout qu’ils agissent pour notre bien. Ils esquivent les questions et se perdent dans des conjectures « abradacabrantesques ». Ils jouent avec des expressions curieuses du genre « l’argent travaille «  quand nous leur crions que nous avons faim et que nous voulons travailler. Ils parlent de croissance à deux chiffres pendant que le nombre de nos repas quotidiens est passé du triple au simple (mort subite) et que les prix des denrées eux sont passés du simple au triple. Curieuse loi de proportionnalité. On a connu une refondation qui était plus fragile que la première fondation. Les vrais démocrates ont applaudi des coups d’Etat opérés au nez et à la barbe de la démocratie puis on a appelé cela une « révolution des œillets », « sans effusion de sang ». Le « ET et le OU » ont occulté les vrais problèmes de chômage et de manque de repères d’une jeunesse aux abois. Puis quand les armes un soir ont tonné, on a entendu des mots : « Résistance, patriotisme, attaques extérieures, rébellions, Forces nouvelles, nouvelles forces, CNO, com-zone, division » et vlan !

Quand je serai rassasié chaque jour et que je serai sûr de l’être le lendemain et les jours suivants ; quand je serai rassuré que mon petit bonhomme, après sa naissance, ait une bonne éducation et un système qui lui permettra de s’intégrer dans la vie active, quand je n’aurai plus à trimer si dur à m’en casser les côtes pour un minable billet bleu de 2000 f Cfa (3, 05 euros) la journée, je ne prendrai jamais d’armes pour suivre un aventurier prestidigitateur.

Appelons un chat un chat. Nous voulons que vous vous penchiez chers politiciens de tous bords sur les vrais sujets. On n’est pas obligé de tous s’aimer. On n’est non plus pas obligé d’être d’accord sur tout. Mais on peut néanmoins s’asseoir et s’entendre sur l’essentiel. Nous sommes tous concernés.

En attendant, le chat-machin-truc de ma petite femme aura longue vie sur ma table estropiée. Il me permet de refuser de lui acheter un véritable chat pour la satisfaire. J’ai appris à être politicien, en quelque sorte et à mes dépens. Mais nous, ma petite femme et moi, contrairement aux autres, nous savons ce qui est nécessaire pour nous. Nous restons unis et soudés pour contrer le froid la nuit et pour lutter contre cette cruelle vie en entendant la naissance de notre petit bonhomme. Nous, nous ne mettons pas le feu à notre petite maison branlante en bois pour un désaccord sur une question de chat.


La main nourricière et les crocodiles

Crocodile dans les rues d'Abidjan.© France24/Nasser Eddy.
Crocodile dans les rues d’Abidjan.© France24/Nasser Eddy.

Avant-hier, ma petite femme est arrivée de chez la voisine tremblante d’effroi. Elle m’a confié la voix enrouée d’émotion qu’elle venait de voir une vidéo dans laquelle des crocodiles ont happé un pauvre monsieur, l’ont transporté dans les eaux glauques du lac de Yamoussoukro et l’ont tranquillement dévoré sous les yeux médusés d’une foule de spectateurs impuissants. Elle avait les larmes aux yeux. Elle semblait sérieusement bouleversée. Je lui ai rappelé que c’est un drame qui s’est produit depuis 2012 et qu’elle gagnerait à suivre l’actualité de son pays au lieu de s’enivrer avec les séries brésiliennes et indiennes qui ne lui apprennent rien.

Elle voulait en savoir plus. Le vieux Monsieur en question est Dicko Toké, gardien des crocodiles du lac de Yamoussoukro. En service auprès de ces sauriens depuis un peu plus de 30 ans, il les nourrissait, les soignaient et faisait des tours publics avec eux pour les visiteurs et touristes de passage dans la capitale ivoirienne. Il ne craignait pas ces bêtes à la mâchoire terrifiante et hyper puissante. Il les touchait, les caressait, soulevait leurs puissantes queues sans risque jusqu’au jour où les sauriens sont passés en mode déglinguage, ont perdu les pédales et ont dévoré la main nourricière. Ma petite femme n’en revenait pas. Elle trouvait cela injuste et ingrat. Elle m’a demandé ce qui avait bien pu se passer dans la tête des crocos pour qu’ils en arrivent à une telle extrémité. Je lui ai répondu que c’est plutôt aux crocos qu’il fallait poser la question, pas à moi.

Elle avait les deux mains jointes sur le menton et la bouche ouverte d’émotion. Elle s’est mise à plaindre les populations de Yamoussoukro qui selon elle, courraient un grand danger avec ces bêtes qui n’avaient aucun sens de la loyauté, ces bêtes ingrates et peu reconnaissantes qui pouvaient, sans remords, mordre la main qui les nourrit et même la manger, cette main nourricière. Je lui ai dit qu’elle n’avait pas à autant s’en faire pour ceux qui habitent Yamoussoukro. Je lui ai dit qu’on avait récemment vu l’un de ces sauriens préhistoriques déambulant tranquillement dans les rues à Abidjan à la recherche d’une quelconque main nourricière.

Je lui ai aussi dit que c’est ce qui arrive généralement quand la main nourricière se croit tout permis et invulnérable, quand elle se croît la seule capable de tout faire et impose son dictat ; quand elle décide de contourner les conventions, s’arroge le droit de décider à la place des autres et se montre arrogante; quand elle ne tient pas ses promesses et que la misère va grandissante; quand ceux qui se reconnaissaient en elle commence à douter. Cette main là, elle sera hardiment happée, ramenée dans les eaux troubles de l’incertitude et du chômage galopant par des crocodiles frustrés et révoltés et elle sera… Je n’ose pas imaginer l’effroyable perspective.


Union SDF

Le mariage n'est pas envisagé dans les unions SDF.
Le mariage n’est pas envisagé dans les unions SDF.

Dans mon pays la Côte d’Ivoire les unions sans engagement semblent avoir pignon sur rue. De nombreux couples vivent ensemble pendant des années sans dot, sans fiançailles et donc sans mariage. Ces genres de situations créent parfois des problèmes pour la femme au décès du conjoint. Chez nous les gens d’en-bas, on appelle cela une union SDF.
J’aime ma petite femme. Je le rappelle à chaque fois que cela est possible. Elle me le rend tellement bien que je me sens coupable de ne pas lui offrir le bonheur qu’elle mérite. Dire de cette belle jeune femme qu’elle est ma femme est en réalité un abus de langage. Nous ne sommes pas mariés. Je ne l’ai même pas encore dotée. Je vis avec l’enfant des gens sans que les gens n’en soient officiellement informés. C’est vrai que les gens en question me connaissent bien. Je me suis même rendu dans leur village, histoire de les saluer pour qu’ils me voient et sachent à quoi je ressemble. Mais officiellement, je ne suis rien pour eux en dépit dufait qu’officieusement, on m’appelle beau. Je suis en union SDF avec ma petite femme (SDF : Sans Dot ni Fiançailles).

Je veux bien doter ma femme et passer devant le maire mais je suis SDF (Sans Dotation financière). Dans un pays où l’argent a déserté les rues, les banques et les poches pour s’enfermer à triple tour dans son bureau, occupé à travailler, ce n’est pas étonnant que les Unions SDF (Sans Dot ni Fiançailles) foisonnent. Tiens, mon voisin Bernard est en union SDF depuis un peu plus de 15 ans avec 4 enfants. De telles unions ne procurent pas toujours la sécurité aux femmes. Ces genres de femmes sont en mode SDF (Sécurité Définitivement Foutue) dès que leur mari décède. Les rapaces parents du mari se ruent alors sur les biens du défunt faisant fi de l’avenir des enfants issus de telles unions. Ces actes sont le fait de SDF (Sociétés de Dépouillement Familiale). Ils revendiquent leur droit à la propriété de leur frère, oncle, fils ou cousin. La pauvre femme éplorée est alors livrée à la vindicte populaire et à la famine. L’avenir des enfants des unions SDF est alors compromis.

C’est bizarre, souvent certains hommes SDF (Sans Difficultés Financières) vivent en union SDF. Ils s’y sentent tellement bien et qu’ils en sont SDF (sans Doute Fiers). On parle alors de concubinage. Ils s’en contentent durant des années et font une pléiaded’enfants. Ils oublient de sécuriser leurs progénitures et leur épouse en légalisant leur union. C’est des situations difficilement explicables. Je ne veux pas laisser ma petite femme dans une telle condition. Je ferai tout pour la doter et la marier légalement. Faire tout ne signifie pas pour moi Sources Douteuses de Financement (SDF) mais Sources Difficiles et Fiables (SDF).


Pauvreté et chômage galopants en Côte d’Ivoire : chut, l’argent travaille !

La une du quotidien proche du pouvoir Le Patriote du 02 janvier 2013
La une du quotidien proche du pouvoir Le Patriote du 02 janvier 2013

Le quotidien ivoirien  Le Mandat dans sa publication  du lundi 12 aout dernier a révélé que  selon l’INS (Institut National de la Statistique), 70% des familles vivants en Côte d’Ivoire ne mangent pas à leur faim. Le Président ivoirien Alassane Ouattara avait tenté d’expliquer cette situation éprouvante pour les couches défavorisées de la société dans son discours de fin d’année en affirmant que « l’argent ne circule pas, il travaille ». C’était en décembre 2012. Et depuis, l’argent est encore au boulot oubliant de circuler au grand dam de nous autres, les gens d’en bas.

 

Nous sommes dans mon quartier, il est 17 heures. La boule de feu orangée dandine dangereusement sur l’horizon. Ivre de tant d’effort à donner gratuitement de sa lumière et de sa chaleur, le soleil tombe majestueusement dans une agonie sanguinolente. Il jette ses derniers jets ensanglantés de lumière peignant le ciel en un tableau de feu et de sang. Le crépuscule s’installe lentement et une rude journée d’effort tire sa révérence. Je rentre chez moi les mains dans les poches.

 
Ma petite femme a tout compris à ma démarche. Lente et démesurément nonchalante, elle lui inspire que la journée n’a pas été bonne. Je rentre dans ma tanière la tête basse comme une lionne affamée rentrant bredouille de la chasse. Malgré tout, ma petite femme me regarde et me sourit. La belle rangée blanche de ses dents me donne du réconfort. Je pose ma main sur son ventre. Le petit, notre petit bonhomme n’a pas arrêté de bouger de toute la journée. Il a certainement faim comme moi et sa mère. Je me sens tellement impuissant face à la vie. Mais elle est là, elle me rassure, elle me dit que ce n’est pas bien grave et qu’elle ira manger chez la voisine. J’ai honte. Moi, je dormirai le ventre creux. Je le mérite bien.

J’ai beau tourné, supplié, mais en vain. Il n’y a pas d’argent. L’argent, paraîtrait-il, travaille. Il est tellement occupé qu’il ne circule plus. Il a rangé sa voiture au garage, fermé son portable. Il ne veut surtout pas être dérangé. Il paraît également qu’en ses temps de durs labeurs, il n’aime pas le bruit. Il s’est donc barricadé derrière une porte insonorisée. C’est un bon travailleur. Il fait même des heures sup non rémunérées. Il espère décrocher la palme du meilleur travailleur du siècle. Pendant ce temps, moi je circule à n’en point finir. J’ai moins de chance que l’argent. Je ne travaille pas ou plutôt, je travaille à circuler pour chercher du travail. C’est bien malin de ma part.

Dans mon pays la Côte d’Ivoire, l’argent a arrêté de circuler pour se mettre au travail. En termes plus clairs, il n’y a pratiquement plus d’argent en circulation dans le pays. Le panier de la ménagère s’est dangereusement  et outrageusement amenuisé pour se transformer en un vulgaire sachet noir qu’elle utilise pour faire le marché. L’INS (Institut National de la Statistique), organe national des statistiques  parle de 70% des familles ivoirienne qui n’arrivent pas à se nourrir convenablement et 60% qui ne peuvent pas se soigner. Les chiffres sont effrayants. Les prix des denrées de premières nécessités flambent sur le marché tandis que de grands travaux d’intérêts publiques se multiplient dans le pays : le 3ème pont reliant Cocody à Marcory, l’échangeur de la Riviera 2 et celui de Marcory qui passe pour être l’un des plus grands en Afrique, le pont de Bouaflé, etc.

Tous ces travaux, c’est bien et beau. Mais quand la population qui sort à peine d’une décennie de crise politico-militaire est affamée par ce fait, il y a forcement de quoi grincer les dents. En ces périodes, essayer de trouver un travail convenable, c’est se lancer à la recherche du saint Graal. Toutes les portes semblent fermées à mes efforts. Lorsque je tente de me plaindre, l’on me répond  qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs. Mais dans mon cher pays, en plus de casser les œufs, on tue également la poule. Un dicton bien connu chez nous dit: « un homme  qui a faim n’est pas un homme libre« . Je ne suis pas libre, ma femme et le bébé non plus, nous ne sommes pas libres. Nous sommes prisonniers d’un avenir incertain cohabitant avec la faim et le désespoir. Tous nos regards se tournent alors vers le haut. Les politiques tentent désespérément de nous rassurer. Ils  parlent d’une certaine  émergence à l’horizon 2020. Moi je ne sais pas ce que cela signifie. Je serai rassuré seulement le jour où j’arriverai à nourrir convenablement ma petite femme et le bébé qu’elle porte.

En attendant ce jour , je me couche sur ma petite natte et tente en vain de lire un livre pour me consoler. Je lis et relis la même phrase sans rien y comprendre. Je balance le livre avec force, le peu qui me reste, dans un coin de la maison. Il heurte violemment un verre et le brise net. Je n’ose me lever pour nettoyer. Mon ventre crie famine. Avec autant de bruit qu’il fait, pas étonnant que l’argent m’insupporte et refuse de prendre du repos pour venir me voir lui qui n’aime pas le bruit. Le jour où enfin, il aura un petit congé, j’espère qu’il aura assez de force pour m’envoyer au cimetière et m’enterrer parce qu’entre temps, je serai mort de faim.