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COVID-19: La Coronaïa en Côte d’Ivoire

La pandémie mondiale du Coronavirus COVID-19 frappe de plein fouet mon pays. A ce jour, selon le dernier bilan, nous en sommes à 165 cas confirmés avec 4 guéris et 1 mort. C’est trop ! Cette situation crée donc une psychose au sein de la population avec son corollaire de fausses informations faisant courir tout le monde dans tous les sens. Cette psychose s’est transformée en véritable paranoïa que j’ai nommée « LA CORONAÏA ». Voici mon journal sur cette crise sanitaire que traverses mon pays, avec ma femme et notre bébé.

Il est 20H, ma femme se précipite pour mettre RTI 1. Elle est la plus inquiète de nous tous, je la sens dépérir de jour en jour. Mais elle n’arrête pas de se gaver des mauvaises nouvelles annonçant le nombre de morts par le coronavirus à travers le monde. Elle connaît les derniers chiffres et en tremble. Elle a raison, elle a une santé tellement fragile ! Je m’efforce de la rassurer, je lui dis qu’elle n’a rien à craindre : peine perdue, elle angoisse heure après heure. Mes tentatives pour l’empêcher de suivre l’actualité restent inefficaces.


Le bébé rampe dans tous les sens, il est très excité. Sa nounou même a jeté l’éponge, elle l’observe de loin, l’air blasée. Les premiers titres du journal télévisé s’affichent : 03 nouveaux cas confirmés portant le nombre à 168 dont 04 guérisons et 01 décès. Ma femme étouffe de colère, elle s’en prend au monde entier : moi, le bébé, le gouvernement, la nounou, notre grande fille, les voisins qu’elle soupçonne de ne pas se protéger ou respecter les mesures d’hygiène, elle est au bord de l’hystérie. A cette allure, le virus en lui-même ne me fait plus peur, ma préoccupation c’est ma femme qui déprime. Cela aussi fait partie des corollaires de cette sale pandémie. Elle voit le virus partout, rampant par terre, sur le mur, sous le lit.


Elle est très stricte sur les mesures d’hygiène : lavage systématique des mains chaque deux heures, interdiction formelle de toucher à l’enfant quand je rentre du travail avant « une désinfection totale » (MDR), port de gants et cache-nez obligatoire pour les sorties, gel hydro-alcoolique à portée de main, etc. Pffff je n’en peux plus !


Elle a déjà fait des provisions dignes d’une survie en bunker lors d’une guerre nucléaire. Maintenant elle parle de rentrer au village. Mes histoires drôles ne la font plus rire. Elle refuse même de décrocher le téléphone. Cette psychose, cette paranoïa commence moi-même à m’épuiser. Elle veut le confinement maintenant et tout de suite. Elle veut se procurer tous les supposés remèdes qui circulent sur internet. Sa dernière trouvaille : les feuilles de neem. Il faudrait des communiqués réguliers pour sensibiliser les populations sur l’utilisation des remèdes prescrits par les rumeurs.

Elle n’est pas la seule dans ce cas, de nombreux hommes et femmes semblent avoir perdu la tête face aux chiffres que débitent les médias. On se suspecte, on se soupçonne, on se méfie de tout. Vivement que cette coronaïa prenne fin !


Les freshnies*, ces mineures qui se prostituent à Abidjan

(c) negronews.fr

Minuit passé, dans la pénombre, se taille une silhouette que je distingue mal. J’entends des chuchotements à peine audibles puis fusent des rires clairs et juvéniles, presqu’enfantins. Je me rapproche du mystérieux couple, une nymphette à l’allure débridée enlace fougueusement un homme âgé. La scène me semble surréaliste, irréaliste. La fillette encore aux portes d’une puberté semblable à un orage avorté dans un ciel étonnement bleu, est une » freshnie djandjou » (jeune prostituée).

 

Elles sont belles, fougueuses, endimanchées dans des vêtements qui couvrent à peine leur nudité. Elles trainent aux abords des maquis, bars et hôtels de la ville, elles sont déterminées et surtout, elles sont jeunes, très jeunes. Des enfants de 14 à 17 ans à peine qui s’adonnent au plus vieux métier du monde, la prostitution. Le phénomène est bien réel à Abidjan.

Les raisons en sont multiples. La paupérisation accentuée des populations est en grande partie responsable de ce drame. Après les nombreuses crises armées que vient de traverser le pays, les jeunes filles abandonnées à leur propre sort sont bien obligées de  se chercher  comme on le dit ici chez nous. Elles vendent leur corps, pas forcement aux plus offrants, pour avoir de quoi s’entretenir ou venir en aide aux parents. En Afrique, l’enfant est un investissement dont on veut récolter les fruits, même quand ils ne sont pas encore mûrs. Hélas ces pauvres enfants font les frais d’une telle mentalité.

En milieu scolaire, le phénomène est bien connu, des filles mineures livrent leurs joyaux pour améliorer les notes ou les moyennes. On parle alors de « MST » (moyennes sexuellement transmissibles). Certaines sont issues de milieux aisés mais cherchent la facilité ou s’y adonnent pour le plaisir.

Les conséquences en sont terrifiantes et nombreuses : grossesses précoces (on a enregistré plus de 5 000 cas de  grossesses précoces en milieu scolaire en Côte d’Ivoire en 2012 et 2013), dépravation des mœurs, propagation à vitesse grand V des maladies sexuelles et surtout élévation du taux de prévalence du SIDA. Toute chose qui constitue un frein notable à notre émergence prévue pour quelques années.

Je ne veux surtout pas parler de ce que je viens de voir à ma petite femme. Elle qui a l’habitude de se mettre en souci pour tout et pour tous, rougira certainement de colère et d’inquiétudes. Non je ne veux pas me donner cette peine là.

Mais à bien y réfléchir, je crois que je lui en parlerai finalement. Je lui dirai qu’elle doit être assez forte pour donner une éducation adéquate à nos futures princesses de peur qu’elles ne dérivent dans la dépravation. Je lui dirai que les autorités semblent trop lourdes à intervenir parce que trop occupés à élaborer des subterfuges pour occulter les vrais problèmes.

Je lui dirai encore que nos sociétés d’aujourd’hui acceptent trop facilement l’immoralité. Je lui dirai que si la prostitution enfantine prend de l’ampleur, c’est que tapis dans l’ombre, des hommes âgées apprécient bien la chair fraîches de ces « freshnies ». Je lui dirai aussi que ce genre de personnes mérite de rôtir en enfer.

Je lui dirai surtout que tout espoir n’est pas finalement perdu, qu’il existe belle et bien des moyens de prévenir ce phénomène en menant une lutte en amont. Je lui dirai finalement que j’ai griffonné un papier dans ma colère pour interpeler la conscience des uns et des autres sur ce malheureux drame qui se déroule sous nos yeux.

*Freshnie : jeune fille, mineure


Les arrangements, ce mode de vie incontournable à Abidjan

Un taxi-compteur à Abidjan (c) www.auto.ci
Un taxi-compteur à Abidjan (c) www.auto.ci

J’aime la Côte d’Ivoire mon pays. C’est un pays de grandes possibilités. Chez nous, on s’arrange sur tout. Tout devient possible lorsqu’on fait des arrangements. Et ces arrangements se font partout et en toutes occasions, au marché, à la justice, dans les transports, à l’hôpital et même au cimetière !

Lundi.  Midi passé. Un soleil de plomb s’abat sur Abidjan dans un orage de chaleur. Je tiens une grosse enveloppe au bout trempé par la sueur de ma main. Je dois impérativement déposer ce dossier au plateau avant 13h. Je suis presqu’en retard. J’en suis à regretter de n’avoir pas écouté ma petite femme. Elle m’avait pourtant bien prévenu du danger qu’il y avait à attendre les derniers délais. Mais en bon ivoirien j’avais fait la sourde oreille pour en être là sous ce soleil, mourant d’impatience. Je suis à l’arrêt du bus. Mais emprunter un bus à pareille heure serait un suicide programmé. Je décide alors d’ »écraser une tomate » c’est à dire d’emprunter un taxi-compteur. Ce n’est pas toujours que des gens de ma condition empruntent les « woyos » (taxis-compteurs).

J’en aperçois un, je le hèle. Il s’arrête dans un crissement effroyable de pneus. Je me rapproche de lui en arborant un large sourire et en me flattant le dessus du crâne avec ma main restée libre : « bonjour chef – je dois l’amadouer, dans ce genre de situations ceux qui ont la main en haut sont toujours les chefs- plateau, j’ai « barre » (1000 f CFA) », nouveau crissement de pneus, encore plus terrifiant que la première fois. Il démarre en trombe crachant sur moi une volute de fumée noire que me donne une quinte de toux. La somme proposée pour l’arrangement était trop insignifiante à ses yeux. J’en arrête un second et je lui propose la somme de 2000 f.
Cette fois-ci, c’est lui qui sourit et se gratte machinalement la tête : « chef faut ajouter « gbêssê » (500 f Cfa) on va partir ». L’arrangement nous arrange tous les deux.

Je monte et m’installe confortablement à l’arrière du véhicule. Siège capitonné en cuir, intérieur frais d’où s’échappe une belle musique douce, je ferme légèrement les yeux humant avec délice le parfum du déodorant de la voiture. Une sonnerie de téléphone me sort brusquement de ma rêverie. C’est le portable du chauffeur qui sonne. Il décroche de la main gauche et commence à bavarder joyeusement dans une langue qui m’est inconnue. Je m’apprête à lui dire qu’il est interdit de téléphoner au volant lorsque qu’un coup de sifflet strident m’interrompt dans mon entreprise. La scène n’a pas échappé à un agent de police commis à la régulation de circulation. Le chauffeur gare à regrets sur le bas côté. Le policier se rapproche un fait un salut militaire impeccable. Monsieur votre permis s’il vous plaît, vous êtes en infraction ».
Le chauffeur tâte ses poches et sort un billet de 2000 F qu’il adjoint à son permis : « chef on peut s’arranger ». Le poli agent des forces de l’ordre me fixe un instant, jette aussi un bref regard au permis et au billet de banque, fait mine de noter quelque chose sur son calepin et se retourne. Le chauffeur ayant compris le code descend et suit le policier. Il revient quelques instants plus tard l’air contrarié mais heureux d’avoir échappé aux 10 000 F CFA de la contravention. L’argent n’ira pas dans les caisses de l’État. Il ira plutôt dans les poches du policier. Mon chauffeur quant à lui, il économise la rondelette somme de 8 000 F CFA, c’est un arrangement parfait.

Une fois au Plateau, l’hôtesse d’accueil me signifie que le délai du dépôt des dossiers est passé. Je m’emporte, tempête, commence à faire un boucan de tous les diables. On essaie de me calmer, mais cela a le don de m’énerver encore plus. Un agent de sécurité me saisit par les colles et tente de me faire sortir, je m’accroche, je lutte. Mais il est plus fort que moi et il me trimballe dehors. Arrivé là, il devient tout à coup gentil, s’excuse pour sa brutalité, me fais comprendre que c’est comme ça dans ce service et ajoute : «chef, on peut s’arranger, je connais des gens au bureau ». Il est paraît-il le frère cadet de l’ex-maitresse du Directeur. Je lui tends un billet de 5000 f. Il m’arrache presque mes dossiers et repart l’air triomphal. Il revient au bout d’une dizaine de minutes avec un reçu de dépôt. Il m’explique que les 5000 f sont pour lui et l’agent qui a accepté mes dossiers hors délai, il conclut de manière cinglante : « patron, ici là on peut toujours s’arranger, on est à Abidjan ».

Il a raison. A Abidjan, lors des recrutements des agents de la fonction publique, les arrangements sont légions. Certaines personnes occupent des postes qu’elles ne méritent pas. On s’arrange sur les diplômes, sur les CV, sur les noms, sur l’âge et sur l’identité. Dommage qu’on ne puisse pas faire des arrangements avec la mort, sinon, le taux de mortalité en Côte d’ivoire serait de 0% sur une bonne décennie. On fait des arrangements pour ne pas payer la totalité des impôts et autres taxes. On en fait de même lorsque les constructions ne respectent pas les normes d’urbanisation ou sont carrément sans permis de construire. Ainsi, on échappe aux démolitions. J’ai même appris que sur le tout nouveau  troisième pont, la nouvelle fierté nationale qui vaut à lui seul deux mandats présidentiels, les belles hôtesses aux postes de péage font des arrangements avec des automobilistes. Sacré pays !

 


Suis-je vraiment Charlie?

 

 

 

 

 

 

 

Je suis Charlie, nous sommes tous Charlie. Face à la barbarie sans nom qui a tué nos confères français de Charlie Hebo le 7 janvier 2015, nous nous levons tous, nos armes à la main (nos plumes et nos crayons) pour faire front. Vous ne nous ferez jamais taire, vous ne nous faites pas peur, parce que nous, nous sommes Charlie, nous sommes la liberté et la liberté ne mourra pas.

Bon tout cela est bien et beau, mais moi, suis-je vraiment Charlie?

 

J’avais laissé ma plume pendant un bon moment pour courir un peu partout pour le bien-être de ma petite femme et de mon petit garçon qui est finalement né il y a plusieurs mois déjà. Mais les assassins de Charlie Hebdo m’ont forcé à reprendre la seule arme que je possède, ma plume. Ils ont éveillé en moi la sale envie de tuer… ma peur, pour me dresser au-devant de tels actes avec détermination.

Je suis Charlie. Charlie étant pour moi le symbole de la liberté d’expression. Sous d’autres cieux, ce slogan merveilleux peut être vrai, mais sous nos tropiques, pas vraiment sûr qu’il y ait des Charlie, il n’y a que des « Charlotte ». La liberté d’expression est bâillonnée par les tenants du pouvoir. Tu oses parler de trop, on te fera taire à coups de botte, de cravache et de jugements hâtifs et bonjour la prison, si tu as eu la chance de ne pas être abattu.

La liberté d’expression est un luxe qu’on ne peut pas se permettre dans nos pays africains. On n’aura même pas besoin que des frères Kouachi aillent se former au Yémen, reviennent et se servent de failles dans les services de renseignements pour poser leur acte ignoble. Non c’est un processus trop fastidieux. Ceux qui agiront à leur place sont justement ceux là-mêmes qui sont censés garantir cette liberté. Chez nous, on n’aime pas les critiques trop directes. D’ailleurs moi j’ai trouvé ma voie: je suis bien obligé d’édulcorer mes critiques dans une satire joviale et comique noyée dans mes expériences quotidiennes pour faire passer la pilule. J’ai souvent envie de dire les choses comme elles sont, d’appeler un chat, un chat, mais bon…

Je veux être Charlie, dire ce que je pense sans crainte aucune jusqu’à la mort. Bravo Charlie!

 

 


Côte d’Ivoire : Championnat national de football, entre anonymat et indifférence

Match Asec-Africa (c) nordsudquotidien.com
Match Asec-Africa (c) nordsudquotidien.com

Le football local ivoirien souffre d’un désintérêt total et général de la part de la population. Le championnat national se joue devant des gradins désespérément vide. Il n’attire plus personne comme il y a une dizaine d’année de cela. Pourtant, selon le classement FIFA des nations du monde en matière de football, la Côte d’Ivoire occupe le 1er rang des nations africaines. Les ivoiriens eux préfèrent les championnats étrangers, surtout européens, affichant leur désamour total des clubs nationaux.

 

« Qui est en tête du championnat ivoirien ? », j’ai posé cette question à plus d’une dizaine de personnes dans mon quartier. La meilleure réponse que j’ai pu avoir est une autre question : « Quel championnat, y a-t-il un championnat en Côte d’Ivoire ? ». Cette réponse peut paraître être d’une inacceptable mauvaise foi mais elle traduit bel et bien la réalité du terrain en matière de football  local. Moi-même je ne sais pas s’il se joue un championnat dans mon pays. J’ai beau scruter la une des journaux ivoiriens pour avoir une quelconque information sur la ligue 1, aucun n’en fait cas. Elle  se déroule dans l’anonymat le plus complet. La belle période des derbys Asec-Africa attirant un monde fou dans les stades est terminée depuis longtemps et rangée au placard. Plus personne ne va au stade pour supporter son équipe.

Pourtant, on aime bien le foot en Côte d’ivoire. On l’apprécie à un point tel qu’il fait parti de notre quotidien. Les centres de formation de football se multiplient chaque jour dans le pays. Mais on préfère plutôt supporter  le Bayern, Chelsea, Barcelone, etc.  Il de se passe pas de minute sans qu’un groupe de jeunes de mon quartier ne se forme pour parler uniquement de foot. La politique et les questions s’y rattachant ont fini par déprimer les populations. La sainte colère du peuple gronde, mais en silence. Ces jeunes gens parlent de la champions League, de la premier League anglaise, de la Bundesliga, de la Ligue 1 française, de Barcelone, de Samuel E’too et Didier Drogba, de Neymar, Ronaldo et Messi et j’en passe. Ils connaissent le nom du père du joueur le moins connu de l’équipe la moins connue du championnat le moins connu d’Europe. Mais très peu sauront vous dire quelle est l’équipe qui est championne de Côte d’Ivoire, leur propre pays où ils vivent.

Les causes d’un tel désamour du foot pratiqué sur le sol ivoirien sont multiples. L’avènement des chaines câblées et internet, la surmédiatisation des championnats européens même par la chaîne nationale, la surévaluation des salaires des joueurs  ont fortement contribué à tué l’amour du football local. Les joueurs eux-mêmes ne veulent plus jouer dans le championnat national. Tout le monde veut être un Drogba ou encore un Yaya Touré pour  brasser des milliards. Les meilleurs joueurs émergents s’envolent aussitôt pour l’Eldorado avec la complicité des acteurs du milieu footballistique national sans toucher le moindre ballon sur le sol ivoirien. Toute chose qui a rabaissé le niveau du championnat national et provoqué la désertion des terrains de foot du public. Et, sans public, pas d’entrée d’argent, sans argent, pas de salaire conséquent et par ricochet, pas de football attrayant ; un cercle infernal en somme. La fédération Ivoirienne chargée de gérer le foot (FIF) aide à peine les clubs locaux avec environ 50 millions par club. Ce qui représente une manne très insuffisante quant on a connaissance du demi-milliard des fédérations maghrébines versé à leurs différents  clubs. Il semble donc impossible de sortir de ce carcan qui a pour résultat, la méforme totale des équipes locales engagées dans des compétitions continentales.

Je ne sais pas comment la FIFA fait ses classements, mais je suis sûr que seule l’équipe nationale A, les éléphants des Drogba et autres pros évoluant à l’étranger est l’unique raison du rang de leader africain occupé par la Côte d’Ivoire. Et heureusement encore qu’en dépit des crises cardiaques et autres maux de cœur que donne cette équipe, elle reste la fierté nationale à l’opposé des équipes comme l’Africa Sport, ancienne référence du football ivoirien qui se noie dans sa propre bave. En effet, que de querelles de clocher et de luttes intestines de leadership n’ont causé et continuent de causer la décadence  de ce club jadis grand par son talent et ses prouesses. L’Africa sport est aujourd’hui à l’image du monde politique où l’on s’entredéchire et massacre le peuple parce que, dit-on, on  aime ce même peuple.

Le football ivoirien repose uniquement sur les performances de son équipe nationale constituée à 99% de professionnels évoluant à l’étranger. Il faudrait une bonne politique du football pour relever le niveau de ce sport roi sur le territoire national à l’image des pays du Maghreb ou encore du Congo où le football national est aussi apprécié que les championnats étrangers.

On veut être émergent d’ici 2020, on chante l’émergence à tous les coins de rue, on arbore même des cannes émergentes pour nous permettre de marcher vers l’horizon 2020. N’oublions pas d’adopter une politique émergente du sport pour rendre notre football émergent et remplir à nouveau les stades. Tout le monde ne pouvant pas être Drogba ou Yaya Touré, il serait utile de développer notre football national pour donner la chance à nos jeunes footballeur locaux.


Côte d’Ivoire : « Fais on va vite faire  » ou cette gangrène nommée corruption

Panneau publicitaire de lutte contre la corruption (c) Fabrice Djaha/Abidjan live News
Panneau publicitaire de lutte contre la corruption (c) Fabrice Djaha/Abidjan live News

L’un des maux qui font souffrir la Côte d’Ivoire et qui semble avoir la peau tellement dure qu’aucun couteau ne peut l’égratigner est sans nul doute la corruption. Elle est présente à tous les niveaux. Chez les gens d’en haut, elle fait un feu de tout bois dont les cendres retombent sur nous en bas. Nous non plus, nous ne sommes pas en reste de ce phénomène. Dans les choses les plus insignifiantes de notre quotidien, la corruption ou le « fais on va vite faire » semble s’être installée pour de bon.

Un soleil de plomb me brûle la peau pendant que j’attends un gbaka pour me rendre dans l’une des nombreuses mairies annexes de la grande commune de Yopougon à Abidjan. Je dois établir un document d’état civil. La mairie annexe en question est bondée de monde qui attend docilement sous une grande bâche dressée dans la cour. Je pénètre l’enceinte et me dirige vers les stands. Des indications inscrites sur des papiers collés au mur m’indiquent le chemin.  J’arrive à mon guichet. Un monsieur très serviable, sourire aux lèvres m’accueille. Je me sens soulagé. Généralement dans ce genre de services, l’accueil est très médiocre, voire nul.

Je lui explique ma préoccupation. Il me répond gentiment en me donnant la liste des documents à fournir. Il n’oublie pas aussi de m’indiquer les tarifs en vigueur. J’ai tous les documents demandés, il ne me reste plus qu’à faire des photocopies. A l’entrée de la mairie, j’avais remarqué la présence d’une photocopieuse. Mais juste avant que je n’y retourne, le gentil monsieur m’interpelle. Il rapproche doucement la tête de moi, la flatte avec sa main gauche, affiche son plus beau sourire : « N’oublie pas ton serviteur ». Je n’ai pas bien compris. Je secoue la tête pour lui signifier que la phrase est, pour le moins, énigmatique.

« Je veux dire, qu’il faut faire on va vite faire ». Je comprends de moins en moins. Je lui répète que je n’ai toujours pas saisi le sens de la phrase. Il me fait de grands gestes. Là, je comprends : il veut un peu d’argent. Je lui lance un sourire narquois en lui signifiant que je ne l’oublierai pas. Il est heureux. A mon retour de la photocopieuse où un monsieur bien habillé brasse des sous sans le moindre sourire, je suis reçu par deux dames, une jeune et une moins jeune. Elles sont elles aussi tout sourire. Je remplis le formulaire avec leur aide. La plus jeune des dames me demande de contourner le comptoir et de venir jusqu’à elles. Elle rapproche sa tête du mien et me chuchote : « Monsieur, faut faire on va vite faire ». Elle aussi réclame de l’argent alors que j’ai payé tout ce que je devais payer pour mes papiers. Je lui tends un billet de 1 000 F, elle me l’arrache des mains et me montre un autre bureau où mon dossier doit être consigné dans les archives.

A mon retour de ce bureau où j’ai également payé la somme de 1 000 F, je suis redirigé vers le service informatique pour la saisie du même document. Deux dames,  assises face à des ordinateurs de dernière génération semblent très occupées. J’attends, piaffant d’impatience qu’elles veuillent bien s’occuper de moi. L’une d’entre elles finit enfin de chercher les lettres à taper sur le clavier et lève les yeux vers moi. Je lui tends le document à informatiser. Elle prend le document et me montre un bol caché sous un bout de pagne : « Des œufs à vendre ». Je lui dis que je ne suis pas intéressé par l’achat des œufs. Elle insiste, précisant qu’elle ne voit pas bien et que seul l’achat de ses œufs lui permettra de voir plus clair pour saisir mon document sur le formulaire informatique. Je pense à une blague de mauvais goût. Mais en fixant son visage, je comprends qu’elle ne plaisante pas. Je lui demande le prix. « 300 francs Cfa l’œuf » me répond-elle, trois plus cher que le prix normal sur le marché.

–          C’est des œufs de poule ou des œufs de  dragon ? je lui demande.

Elle lève les yeux sur moi et me regarde avec un air méchant. Elle n’a pas du tout apprécié ma plaisanterie. Je lui tends alors un billet de 1 000 f et j’en commande trois . Un beau sourire commence à se dessiner sur son visage. Elle saisit mon texte avec une dextérité et une rapidité étonnante. Je lui réclame mes œufs, nouveau regard méchant. Je laisse tomber l’histoire des œufs de dragon imaginaire et je sors le cœur serré. Je me suis fait avoir une fois de plus et je viens de dépenser tout le petit sou qui me restait pour la semaine. J’ai payé 5 fois plus que le prix réglementaire affiché.

Dans mon pays, tout le monde veut être riche, rapidement. La corruption a atteint un tel degré qu’elle est quasi institutionnalisée. Les chiffres en la matière sont effroyables. La Côte d’Ivoire est classée 44e sur 52 pays dans le classement de la Fondation Mo Ibrahim sur la gouvernance africaine en 2013. Selon ce même classement, nous occupons le rang honorifique de 15e sur 16 dans l’espace Cédéao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest). Par ailleurs, sur l’indice de perception de la corruption 2013 de l’ONG Transparency International, la Côte d’Ivoire est classée 136e sur 177 et elle est le pays le plus corrompu de l’espace UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) de quoi avoir la chair de poule. Pour exemple, le concours le plus convoité est celui de l’ENA surtout les filières des douanes, des impôts et du trésor. Ce sont des postes « à mangement  » comme on le dit chez nous ici.

Les salaires de misère réussissent à peine à couvrir les besoins essentiels. Seul le « faire on va vite faire » semble avoir pignon sur roue pour combler le fossé entre le salaire et la cherté de la vie. Mais là encore, c’est relatif, car même les plus nantis, ceux qui ont des salaires faramineux, les gens d’en haut sont aussi impliqués dans le « faire on va vite faire », la corruption. Les marchés publics sont cédés gré à gré sans appel d’offres dans des conditions très nébuleuses entre copains. Il règne une certaine opacité dans la gestion de la chose publique. Dans les services publics, les hôpitaux, les écoles et même à la justice, cette gangrène appelée corruption gagne du terrain, elle est omniprésente dans tous les secteurs. Elle a rendu le pays tellement malade qu’il risque d’en mourir.

Rien de concret n’est fait pour arrêter le fléau.  Simplement, on prétend lutter contre la corruption en engloutissant encore des milliards de nos francs dans des campagnes publicitaires ridicules : des spots télévisés avec une réalisation digne de films hollywoodiens, des messages creux affichés dans les rues et publiés dans les journaux à l’emporte- pièce. Et la corruption peut continuer de galoper derrière ce voile pour nigauds.

En sortant penaud de la mairie, j’ai vu l’un de ces milliers de panneaux publicitaires géants placés un peu partout dans la ville sur lequel il est écrit : « Nous avons corrompu nos institutions, ça a ruiné notre pays ». J’ai éclaté de rire, l’émergence c’est vraiment pour bientôt.


Transport urbain à Abidjan : un vrai enfer !

Crédit: https://www.centerblog.net/actualite/456368-2-la-sotra-societe-de-la-triste-realite-d-abidjan
Crédit: https://www.centerblog.net/actualite/456368-2-la-sotra-societe-de-la-triste-realite-d-abidjan

Yopougon-Niangon, 6h00. La rue est bondée de monde attendant des véhicules de transport en commun pour aller au travail. Les Bus de la SOTRA sont plein à craquer, les taxis compteurs sont devenus rares comme l’argent dans ma poche. Les gbakas sont remplis, restent plus que les wôrô-wôrô, les taxis communaux. A de pareilles heures, les chauffeurs de wôrô-wôrô deviennent les maîtres du monde. Ils refusent de s’arrêter, ils démarrent en trombe avant même que tu n’aies placé le moindre mot sur ta destination.

J’attends, comme tout le monde, qu’un de ces rois veuillent bien me prendre. Un wôrô-wôrô vide pointe son nez, on le hèle, il s’arrête. C’est la ruée vers le véhicule bleu.

Clients : A gauche.
Chauffeur : Non
Clients : A droite ?
Chauffeur : Non
Clients : Tout droit ?
Chauffeur : Non

Apparemment, le monsieur ne va nulle part. Je décidé d’enfoncer le clou.
Moi : Nulle part ?
Chauffeur : Non monsieur, je ne vais pas là-bas !

Toutes ces personnes qui attendent sont pour la plupart des fonctionnaires, des travailleurs dans le privé, des hommes et femmes installés à leur propre compte, des élèves et étudiants et au bas de cette chaîne alimentaire, que dis-je, au bas de cette chaîne laborieuse, cette chaîne de travail, se trouvent les en bas de en bas. C’est-à-dire nous autres, nous qui ne travaillons pas. Ou plutôt, nous qui travaillons à trouver du travail. On fait comme tout le monde. On sort aussi les matins et on attend les véhicules, gonflant ainsi inutilement le rang des gens bien, les gens utiles à la société, les travailleurs.

La situation du transport urbain est très difficile à Abidjan. Aux heures de pointe, il est quasiment impossible d’avoir un véhicule pour se déplacer. Face à cette difficulté, les populations font preuve d’ingéniosité. Certains font le « super-po », technique consistant pour deux personnes à utiliser le seul et même siège dans un gbaka. D’autres font le « gbé ». Le gbé, en langage ivoirien, c’est lorsque le chauffeur décide de faire de la surcharge. Dans ce cas, plusieurs passagers sont debout dans le gbaka, s’agrippant à qui mieux mieux aux fers rouillés du véhicule. D’autres encore, ceux qui ont un peu plus de moyens, font du covoiturage ou transforme carrément leur véhicule personnel ou de fonction en wôrô-wôrô (Taxi inter-communal), c’est malin.

Au bout de plus d’une trentaine de minute d’attente, je décidé de marcher. La marche est une activité très bénéfique. Non seulement elle va améliorer ma santé, mais elle me permettra de faire des économies. Large sourire aux lèvres en pensant à cette ingénieuse idée de génie, je m’engage sur la route, riant intérieurement des travailleurs qui attendent et qui sûrement, attendront longtemps. Après 1 h de marche, le sourire s’efface complètement pour faire place à une mimique de colère et d’exténuation, le tout arrosé de sueur me dégoulinant de partout.

Je marche en ayant dans le cœur un profond regret. Nous aurions dû voter, il y a quelques années, un certain candidat qui nous promettait le métro à Abidjan. Cela nous aurait sans doute permis de trouver une solution définitive à ce récurrent problème de transport dans la capitale économique. Le métro aurait permis de décongestionner un temps soit peu le circuit classique de transport en commun pour permettre à nos vaillantes couches sociales laborieuses de vaquer tranquillement au développement et à l’émergence de notre pays. 2020 n’est pas loin. On entend sonner les sirènes de l’émergence dans un horizon encombré de masses nuageuses noires, denses et difficilement accessible.


Trop boire n’est pas bon !

boireMa petite femme s’est enfin résolue à sortir un peu de son nid douillet (enfin, je le crois plus ou moins). Elle s’est rendue à Treichville chez sa sœur pour passer une semaine. Je suis seul dans notre foyer. En plus de tourner en rond à chercher du travail, un travail qui semble avoir pris un vol en aller simple pour Je-ne-sais-où, je dois faire le ménage.

Je frotte, les dents serrées, des assiettes rebelles qui refusent de blanchir. La pauvre petite marmite noircie par la fumée m’attend l’air impassible dans l’autre coin de la pièce. En me retournant pour prendre le savon, je renverse malencontreusement un verre qui se brise en morceaux. Je ramasse les morceaux de verre et je me coupe le doigt.  Une boule de feu commence à me monter à la gorge. Je suis presque sur le point de craquer et pleurer comme un enfant  tant tout me semble difficile et impossible à faire. Dès cet instant, j’ai une pensée affectueuse pour ma petite femme qui est obligée d’accomplir toutes ces tâches ingrates et ennuyeuses tous les jours. Au moment où je m’apprêtais à tout laisser tomber, mon téléphone sonne. Un ami m’invite à sortir un peu pour passer du bon temps.

04 h du matin ; Je rentre chez moi après une nuit bien arrosée en compagnie de mon bienfaiteur d’ami. Confondant la clé et mon doigt, je tente vainement d’ouvrir la porte. J’échoue, recommence, échoue, recommence encore….

05 h. J’en suis encore à mes infructueuses tentatives, maudissant le propriétaire de la maison et le menuisier qui a fait la porte. Mes bruits réveillent le voisin qui court à mon secours. Je rentre enfin chez moi. J’ai à peine le temps de fermer les yeux que l’alarme de mon portable hurle de colère à mon endroit. Je dois aller à la recherche de mes illusions. Je verse péniblement de l’eau sur moi et m’habille en titubant.

Au kiosque à café de Diallo, je commande une tasse de café et un long morceau de pain. Diallo me fixe bizarrement ayant remarqué mes yeux tuméfiés par le sommeil et la fatigue. J’ai une terrible gueule de bois et une folle migraine qui bouillonne dans ma tête. Je réussis avec peine à avaler le café et je me lève pour partir. Confortablement installé dans le gbaka, les cris de l’apprenti m’agacent. Je glisse les oreillettes de mon écouteur dans les oreilles et mets une bonne vieille chanson que j’aime: Katin de Jess Sah Bi et Peter One et je commence à somnoler.

Une main nerveuse et horriblement rugueuse me secoue violemment l’épaule gauche: « Mon Vié, on est arrivé ! ». Je sors lentement de ma torpeur et jette des coups d’œil stupéfaits autour de moi. Je suis à Adjamé. Merde, j’ai loupé mon arrêt!

Maintenant je dois refaire le trajet en sens inverse. En revenant, je fais l’éternel vœu des buveurs invétérés d’alcool: « je ne boirai plus jamais ». De toutes les manières, j’en suis à mon quinzième vœu. J’espère cette fois ne pas rater mon arrêt.


Abidjan: l’immeuble écroulé de Yopougon

Une vue des dégâts
Une vue des dégâts

Ma petite femme est à terme. Son cas m’inquiète de plus en plus d’autant que je n’ai pas un sou qui veille. La dernière fois, mon frère m’a demandé si j’avais déjà fait le trousseau pour la venue de l’enfant. Je l’ai regardé droit dans les yeux et j’ai éclaté de rire. Comment quelqu’un qui n’arrive même pas à faire manger sa femme enceinte ne serait-ce qu’une fois par jour peut-il penser à faire le trousseau d’un autre qui n’est pas encore né ?

Mon cas, je le comprends, mais ce que je comprends mal c’est l’attitude de certaines personnes d’en haut qui mettent la vie des autres en danger en construisant des tombeaux de béton qu’ils appellent immeubles. Hier, ma petite femme est arrivée de chez le voisin, comme à son habitude, l’air effarouché. Son visage m’a fait rappeler l’épisode des caïmans et de leur gardien. J’ai compris que quelque chose de grave venait de se produire. Toute tremblante, elle m’a confié qu’un immeuble R+4 venait de s’effondrer à Yopougon. Je n’en revenais pas. Qu’est-ce qui arrive à ces immeubles ? Ce n’était pas la première fois qu’une telle nouvelle épouvantable me parvenait. Le 25 novembre dernier, un autre immeuble s’était écroulé à la Riviera, causant d’immenses dégâts.

Tout notre petit quartier s’est mis en branle. On racontait se qui venait de se passer, chacun y ajoutant son grain de sel. Bernard, mon cher voisin se passait pour l’homme le plus informé. Il racontait, à qui voulait bien l’écouter, le drame dans des détails saisissants. Comment pouvait-il savoir toutes ces choses alors que nous étions tous tranquillement assis chez nous cet après-midi. Il connaissait l’ampleur des dégâts et, de peu, il nous citait les noms des victimes, leur âge et le nom de leurs parents. Sacré Bernard ! Il est à l’image de la plupart des personnes que je connais ici : des colporteurs de nouvelles, des j’ai-entendu-dire, des on-dit et j’en passe. Le même mal se reproduit forcement dans notre pauvre presse qui n’est que le reflet d’une société friande de nouvelles sensationnelles souvent imaginaires.

Pour me faire une idée claire de la chose, j’ai décidé de me rendre sur les lieux du drame et de jouer les reporters. J’ai alors emprunté l’appareil numérique de mon ami Alexis et je me suis retrouvé à Yopougon-Maroc. La première impression que j’ai eue en arrivant sur les lieux du sinistre était l’effroi: un grand immeuble étalé de tout son long sur la route comme foudroyé par une bombe. Il y avait des gravats partout et une foule compacte de spectateurs. Chacun y allait de son commentaire exactement comme dans mon quartier. Qu’est-ce que je n’ai pas entendu sur les causes de ce drame? Un homme apparemment cultivé, tiré à quatre épingles parlait d’un obus qui serait tombé sous l’immeuble en période de guerre; une grosse femme transpirante d’inspiration soutenait  que le dessous de la maison était creusé par la pluie du 30 décembre dernier. Quelqu’un a même parlé du propriétaire qui aurait fait des sacrifices humains, bref, j’en passe.

Je ne suis pas expert en construction mais j’ai pris le temps d’observer les fers utilisés dans la construction de cet ex-immeuble. Même pour un inculte comme moi, cela saute aux yeux: c’est du n’importe quoi! De petits fers à béton pour un immeuble R+4, il fallait le faire. Et le plus étonnant, c’est qu’il n’y ait pas eu de contrôle. Et le résultat était là, stupéfiant.  J’en ai fait quelques clichés. J’ai ensuite tenté de jouer les journalistes en posant quelques questions aux supposés témoins. Les versions étaient trop contradictoires pour que j’en retienne une. J’ai finalement décidé de m’en tenir à la vidéo du drame qui avait fait le buzz sur internet.

Les fers et le béton utilisés dans la construction de l'immeuble R+4
Les fers et le béton utilisés dans la construction de l’immeuble R+4

Après ma visite à Yopougon-Maroc, j’ai eu peur. Peur de vivre dans une maison à Abidjan. Peur de toutes ces constructions ne respectant pas les normes et sur lesquelles, le gouvernement semble fermer les yeux. En entendant de sortir de ma baraque branlante en bois pour espérer vivre dans un immeuble, je crie ma rage contre toutes les personnes impliquées dans de tels drames. Que cela cesse et que le Ministère de la Construction, du Logement, de l’Urbanisme et de l’Assainissement joue véritablement son rôle. Heureusement que le gouvernement, lors du conseil des ministres qui s’est tenu le  mercredi 8 janvier, a décidé d’initier des contrôles sur les bâtiments et les chantiers.

Rentré à la maison le soir, j’ai vu un petit attroupement chez mon voisin Bernard. Il racontait le même fait avec une nouvelle version beaucoup plus détaillée et plus sinistre parlant de plusieurs tués sur le coup et plus d’une vingtaine de blessés graves. J’ai raconté à ma femme qu’il n’y a heureusement pas eu de perte en vie humaine et qu’il n’y a eu que quatre blessés. Elle semblait soulagé, elle a éclaté de rire en regardant l’épouse de Bernard qui remuait la tête d’incrédulité en fixant son mari. Bernard ferait vraiment un bon journaliste dans ce pays.


Dans la peau d’un balanceur

Un gbaka. © Marvinhostin
Un gbaka. © Marvinhostin

Je crois qu’il est désormais temps que le président de la République me décerne une médaille de mérite pour le plus brave homme en tentatives infructueuses de recherche de boulot. Je le mériterais amplement. Qu’est-ce que je n’ai pas encore empilé sur ma liste de petits boulots accomplis ? Bien malin qui pourra répondre.

Tout commence un lundi matin. La veille, mon voisin Sekou le chauffeur de gbaka* avait eu un problème avec son apprenti titulaire et il n’arrêtait pas de geindre sur sa situation. Voyant l’occasion bonne, j’ai voulu en profiter. Je lui ai proposé de remplacer l’apprenti en question vu que je n’avais rien de prévu le lendemain. Cinq heures du matin, je place un petit baiser sur la joue humide de ma petite femme. Elle ouvre un œil, me regarde et me sourit. En refermant l’œil, elle marmonne quelque chose à propos de la fausse idée que je voulais coûte que coûte mettre en œuvre.

Petite sacoche en bandoulière, les yeux tuméfiés par le sommeil, le pas engourdi et lent, je marche dans les pas de Sékou, non sans un certain germe de fierté dans le cœur. Il monte dans un tas de ferraille en ruine qui lui tient lieu de gbaka, met la clé de contact et démarre. Je suis aussitôt littéralement submergé par une épaisse couche noire et menaçante de fumée d’échappement. Ça commence plutôt sous d’étranges auspices.

A 6 h 30, je suis solidement agrippé sur le rebord rouillé de la portière branlante, le visage crispé. Je me mets à hurler à m’en casser les cordes vocales : « Adjamé, Adjamé ! ». J’ai déjà vu mes doyens dans le métier le faire. J’emprunte tout le temps les gbakas. Apprentis-Gbaka ou balanceurs, on fait du racolage. Il faut appeler, sourire, draguer, convaincre le client. Dès cet instant, on est doux, attentionné, prêt à aider quiconque le demande ou pas. On aide les piétons à se frayer un passage en se faufilant parmi les véhicules pressés. On soulève leurs faix tout en sachant qu’ils ne monteront pas dans notre véhicule. Le client est roi. Je vois mon premier client et je hèle en souriant au moment où il s’apprêtait à venir vers moi, un autre balanceur* se glisse entre nous l’attrape doucement par le poignet et le dirige vers son gbaka. Il se retourne, me dévisage et émet un son que je prends pour un rire moqueur. Là, tout devient clair pour moi.

Une fois jeté dans cette arène impitoyable, tous les coups sont permis. On ne se fait pas de cadeau. Le même collègue loufoque revient vers moi tentant de m’arracher une autre proie. Mais j’ai bien assimilé la leçon. Je le rabroue violemment et mène, l’air triomphateur mon client dans mon gbaka. C’est la même scène jusqu’à ce qu’on soit prêt de lever le camp. Le gbaka repart vrombissant de fatigue laissant derrière lui cette volute noire de fumée qui semble indiquer notre passage. Une fois le client à bord et l’argent des frais de transport encaissé, les données changent. L’apprenti que je suis devient violent, méchant, impoli. Mon chauffeur change de destination sans préavis. Les clients ? Bof, qui s’en soucie, du moment où ils ont déjà payé. D’ailleurs, l’apprenti que je suis refuse de soulever le bagage du client pour l’aider à descendre. Je n’ai non plus pas de monnaie pendant que mes poches et mains sont remplies de sous.

Je ne tiens pas la cadence bien longtemps. C’est un monde trop cruel et difficile. Je rentre chez moi vers 11 heures le regard hagard et les mains en sang. Ma petite femme éclate de rire en me voyant. Apparemment, elle a toujours raison. Elle m’avait prévenu de me méfier de ce monde bizarre là. Ha oui, le monde en question me fait penser au monde de la politique et ses acteurs, les politiciens. C’est un monde où tous les coups sont permis, un monde de malhonnêteté, d’hypocrisie et de coups bas. Les politiciens sont doux pendant les campagnes électorales, ils font des promesses et des projets, mais une fois élus, les données changent, ils retournent la veste et pensent à se remplir le ventre et les poches au détriment des pauvres populations que nous sommes.

*balanceur : apprenti de minicar

*Gbaka : minicar de transport en commun