Abidjan: l’immeuble écroulé de Yopougon
Ma petite femme est à terme. Son cas m’inquiète de plus en plus d’autant que je n’ai pas un sou qui veille. La dernière fois, mon frère m’a demandé si j’avais déjà fait le trousseau pour la venue de l’enfant. Je l’ai regardé droit dans les yeux et j’ai éclaté de rire. Comment quelqu’un qui n’arrive même pas à faire manger sa femme enceinte ne serait-ce qu’une fois par jour peut-il penser à faire le trousseau d’un autre qui n’est pas encore né ?
Mon cas, je le comprends, mais ce que je comprends mal c’est l’attitude de certaines personnes d’en haut qui mettent la vie des autres en danger en construisant des tombeaux de béton qu’ils appellent immeubles. Hier, ma petite femme est arrivée de chez le voisin, comme à son habitude, l’air effarouché. Son visage m’a fait rappeler l’épisode des caïmans et de leur gardien. J’ai compris que quelque chose de grave venait de se produire. Toute tremblante, elle m’a confié qu’un immeuble R+4 venait de s’effondrer à Yopougon. Je n’en revenais pas. Qu’est-ce qui arrive à ces immeubles ? Ce n’était pas la première fois qu’une telle nouvelle épouvantable me parvenait. Le 25 novembre dernier, un autre immeuble s’était écroulé à la Riviera, causant d’immenses dégâts.
Tout notre petit quartier s’est mis en branle. On racontait se qui venait de se passer, chacun y ajoutant son grain de sel. Bernard, mon cher voisin se passait pour l’homme le plus informé. Il racontait, à qui voulait bien l’écouter, le drame dans des détails saisissants. Comment pouvait-il savoir toutes ces choses alors que nous étions tous tranquillement assis chez nous cet après-midi. Il connaissait l’ampleur des dégâts et, de peu, il nous citait les noms des victimes, leur âge et le nom de leurs parents. Sacré Bernard ! Il est à l’image de la plupart des personnes que je connais ici : des colporteurs de nouvelles, des j’ai-entendu-dire, des on-dit et j’en passe. Le même mal se reproduit forcement dans notre pauvre presse qui n’est que le reflet d’une société friande de nouvelles sensationnelles souvent imaginaires.
Pour me faire une idée claire de la chose, j’ai décidé de me rendre sur les lieux du drame et de jouer les reporters. J’ai alors emprunté l’appareil numérique de mon ami Alexis et je me suis retrouvé à Yopougon-Maroc. La première impression que j’ai eue en arrivant sur les lieux du sinistre était l’effroi: un grand immeuble étalé de tout son long sur la route comme foudroyé par une bombe. Il y avait des gravats partout et une foule compacte de spectateurs. Chacun y allait de son commentaire exactement comme dans mon quartier. Qu’est-ce que je n’ai pas entendu sur les causes de ce drame? Un homme apparemment cultivé, tiré à quatre épingles parlait d’un obus qui serait tombé sous l’immeuble en période de guerre; une grosse femme transpirante d’inspiration soutenait que le dessous de la maison était creusé par la pluie du 30 décembre dernier. Quelqu’un a même parlé du propriétaire qui aurait fait des sacrifices humains, bref, j’en passe.
Je ne suis pas expert en construction mais j’ai pris le temps d’observer les fers utilisés dans la construction de cet ex-immeuble. Même pour un inculte comme moi, cela saute aux yeux: c’est du n’importe quoi! De petits fers à béton pour un immeuble R+4, il fallait le faire. Et le plus étonnant, c’est qu’il n’y ait pas eu de contrôle. Et le résultat était là, stupéfiant. J’en ai fait quelques clichés. J’ai ensuite tenté de jouer les journalistes en posant quelques questions aux supposés témoins. Les versions étaient trop contradictoires pour que j’en retienne une. J’ai finalement décidé de m’en tenir à la vidéo du drame qui avait fait le buzz sur internet.
Après ma visite à Yopougon-Maroc, j’ai eu peur. Peur de vivre dans une maison à Abidjan. Peur de toutes ces constructions ne respectant pas les normes et sur lesquelles, le gouvernement semble fermer les yeux. En entendant de sortir de ma baraque branlante en bois pour espérer vivre dans un immeuble, je crie ma rage contre toutes les personnes impliquées dans de tels drames. Que cela cesse et que le Ministère de la Construction, du Logement, de l’Urbanisme et de l’Assainissement joue véritablement son rôle. Heureusement que le gouvernement, lors du conseil des ministres qui s’est tenu le mercredi 8 janvier, a décidé d’initier des contrôles sur les bâtiments et les chantiers.
Rentré à la maison le soir, j’ai vu un petit attroupement chez mon voisin Bernard. Il racontait le même fait avec une nouvelle version beaucoup plus détaillée et plus sinistre parlant de plusieurs tués sur le coup et plus d’une vingtaine de blessés graves. J’ai raconté à ma femme qu’il n’y a heureusement pas eu de perte en vie humaine et qu’il n’y a eu que quatre blessés. Elle semblait soulagé, elle a éclaté de rire en regardant l’épouse de Bernard qui remuait la tête d’incrédulité en fixant son mari. Bernard ferait vraiment un bon journaliste dans ce pays.
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