Dans la peau d’un balanceur

7 janvier 2014

Dans la peau d’un balanceur

Un gbaka. © Marvinhostin
Un gbaka. © Marvinhostin

Je crois qu’il est désormais temps que le président de la République me décerne une médaille de mérite pour le plus brave homme en tentatives infructueuses de recherche de boulot. Je le mériterais amplement. Qu’est-ce que je n’ai pas encore empilé sur ma liste de petits boulots accomplis ? Bien malin qui pourra répondre.

Tout commence un lundi matin. La veille, mon voisin Sekou le chauffeur de gbaka* avait eu un problème avec son apprenti titulaire et il n’arrêtait pas de geindre sur sa situation. Voyant l’occasion bonne, j’ai voulu en profiter. Je lui ai proposé de remplacer l’apprenti en question vu que je n’avais rien de prévu le lendemain. Cinq heures du matin, je place un petit baiser sur la joue humide de ma petite femme. Elle ouvre un œil, me regarde et me sourit. En refermant l’œil, elle marmonne quelque chose à propos de la fausse idée que je voulais coûte que coûte mettre en œuvre.

Petite sacoche en bandoulière, les yeux tuméfiés par le sommeil, le pas engourdi et lent, je marche dans les pas de Sékou, non sans un certain germe de fierté dans le cœur. Il monte dans un tas de ferraille en ruine qui lui tient lieu de gbaka, met la clé de contact et démarre. Je suis aussitôt littéralement submergé par une épaisse couche noire et menaçante de fumée d’échappement. Ça commence plutôt sous d’étranges auspices.

A 6 h 30, je suis solidement agrippé sur le rebord rouillé de la portière branlante, le visage crispé. Je me mets à hurler à m’en casser les cordes vocales : « Adjamé, Adjamé ! ». J’ai déjà vu mes doyens dans le métier le faire. J’emprunte tout le temps les gbakas. Apprentis-Gbaka ou balanceurs, on fait du racolage. Il faut appeler, sourire, draguer, convaincre le client. Dès cet instant, on est doux, attentionné, prêt à aider quiconque le demande ou pas. On aide les piétons à se frayer un passage en se faufilant parmi les véhicules pressés. On soulève leurs faix tout en sachant qu’ils ne monteront pas dans notre véhicule. Le client est roi. Je vois mon premier client et je hèle en souriant au moment où il s’apprêtait à venir vers moi, un autre balanceur* se glisse entre nous l’attrape doucement par le poignet et le dirige vers son gbaka. Il se retourne, me dévisage et émet un son que je prends pour un rire moqueur. Là, tout devient clair pour moi.

Une fois jeté dans cette arène impitoyable, tous les coups sont permis. On ne se fait pas de cadeau. Le même collègue loufoque revient vers moi tentant de m’arracher une autre proie. Mais j’ai bien assimilé la leçon. Je le rabroue violemment et mène, l’air triomphateur mon client dans mon gbaka. C’est la même scène jusqu’à ce qu’on soit prêt de lever le camp. Le gbaka repart vrombissant de fatigue laissant derrière lui cette volute noire de fumée qui semble indiquer notre passage. Une fois le client à bord et l’argent des frais de transport encaissé, les données changent. L’apprenti que je suis devient violent, méchant, impoli. Mon chauffeur change de destination sans préavis. Les clients ? Bof, qui s’en soucie, du moment où ils ont déjà payé. D’ailleurs, l’apprenti que je suis refuse de soulever le bagage du client pour l’aider à descendre. Je n’ai non plus pas de monnaie pendant que mes poches et mains sont remplies de sous.

Je ne tiens pas la cadence bien longtemps. C’est un monde trop cruel et difficile. Je rentre chez moi vers 11 heures le regard hagard et les mains en sang. Ma petite femme éclate de rire en me voyant. Apparemment, elle a toujours raison. Elle m’avait prévenu de me méfier de ce monde bizarre là. Ha oui, le monde en question me fait penser au monde de la politique et ses acteurs, les politiciens. C’est un monde où tous les coups sont permis, un monde de malhonnêteté, d’hypocrisie et de coups bas. Les politiciens sont doux pendant les campagnes électorales, ils font des promesses et des projets, mais une fois élus, les données changent, ils retournent la veste et pensent à se remplir le ventre et les poches au détriment des pauvres populations que nous sommes.

*balanceur : apprenti de minicar

*Gbaka : minicar de transport en commun

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Commentaires

Nelson Deshommes
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j'ai vraiment adoré ce billet, je me demande est ce qu'Haïtien avec ta capacité et surtout cette belle plume tenterait une chose pareille, en tout ca bonne continuation frangin.

marvinhostin
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Merci

FBI
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Bon billet... cette histoire de #Gbaka, dommage!

Bouba
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Tout les moyens sont bons pour travailler dignement mais ce travail de balanceur est une belle expérience

nord africaine chaude du vagin
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Je vais vous dire que ce n'est guère erroné ...

PL
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Je terminerai de voir ça dans la semaine

KRISTY
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Je prends la peine de poster un petit com afin de congratuler
son auteur