La diarrhée
Je n’en reviens pas, mais je tiens dans ma main un billet violet, un billet de 10 000 F Cfa (16 euros). Cela n’arrive pas souvent. Je rentre chez moi l’air triomphateur. A ma démarche, ma petite femme a compris que je viens avec de bonnes nouvelles. Je lui demande de s’apprêter, car nous sortons. Nous allons au glacier. Une fois n’est pas coutume. Elle est souriante. Bernadette, la femme du voisin Bernard a entendu. Elle veut nous accompagner, mais son mari s’y oppose catégoriquement. Ma petite femme réussit tout de même à lui faire changer d’avis. Dans notre bouge, tout se partage : peines et joie, douleurs et bonheur. Je demande aussi à Bernard de venir. Il est désolé, il aimerait bien, mais il me montre du doigt ses quatre marmots. J’ai de la bonne volonté, mais ça fait un peu trop. Je n’insiste pas.
Notre soirée est féérique. Après les glaces nous prenons de bons et gras morceaux de porc au four et nous ingurgitons quelques litres de bière bien fraîche. Le tout est un cocktail détonnant et je ne tarderai pas d’ailleurs à m’en rendre compte. Nous avons dépensé la rondelette somme de 7 000 F Cfa pour cette seule soirée. C’est énorme pour ma bourse rabougrie, mais nous sommes heureux. Ma petite femme se passe la main sur le ventre et caresse le petit bonhomme qui saute aussi de bonheur. La vie est bien courte et il faut savoir en profiter.
Je me réveille le lendemain plein d’entrain, mais le ventre bourdonnant. Je dois me rendre à Treichville voir mon frère. Dans le bus qui peine à monter la côte de l’Indénié, râlant et crachant de la fumée noire, je sens des bouffées de chaleur m’envahir. Mon ventre se met à tourbillonner comme un orage qui va éclater. Sans nul doute, la bière et les bons morceaux de porc font leur effet. A la sortie du Plateau, l’orage éclate effectivement dans mon ventre et dévale la pente à toute vitesse: c’est la première attaque. Je me cramponne à la barre de fer et usant de mes muscles fessiers, je tente de repousser l’assaut. Je deviens pâle, transpirant à grosses gouttes. L’offensive est repoussée après une féroce lutte de mes fesses et de mes pauvres sphincters. Un bref soulagement, et la seconde attaque arrive, violente, très violente. Le bus est coincé dans un embouteillage à la sortie du pont de Gaulle. La sueur me dégouline du visage. Ma respiration devient courte. Tout devient flou autour de moi. Mes membres tremblotent. Je mets à rude épreuve mes sphincters qui n’en peuvent plus. Je n’entends plus rien, ne vois plus rien. Au terme d’un ultime effort, je réussis à repousser la tornade dans mon ventre. Ouf ! Mais je crois que je ne survivrai pas à une troisième attaque.
Le bus se dégage et bondit comme un ivre vers le premier arrêt près de l’immeuble Nanan Yamousso. Je lutte, je pousse, je bouscule. On m’insulte, on essaie de me retenir le bras. Je deviens violent, incontrôlable. Usant du peu de force qui me reste, je mets le pied dehors. Un petit vent glacial me fouette le visage et me redonne de l’espoir dans cette lutte à mort. Je cherche un WC public, le plus proche. Je me renseigne presque, en chuchotant mes mots. Une main indécise me montre une direction. La troisième attaque commence, fulgurante. Je marche à petits pas rapides les fesses serrées. J’aperçois des toilettes publiques et je m’y dirige telle une roquette tirée contre un char d’assaut. J’y suis presque. Je touche la porte. Mes mains tremblent violemment. A cet instant, mes sphincters lâchent prise. C’est le syndrome de la clé dans la porte. J’ai juste le temps de descendre la fermeture éclair de mon pantalon que….
La suite n’intéressera personne. Qui d’entre nous n’a jamais été victime d’une telle diarrhée ? Quels conseils n’ai-je pas reçus sur le danger que représente la consommation abusive de la viande de porc ? Ici, c’est la viande des pauvres. Avec ma condition, je ne peux que m’offrir ce luxe-là. Chez nous, le luxe c’est ça. Un luxe empoisonné accompagné de bière fraîche comme nos malheurs d’ici.
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